Elisabeth Jeanne de Cerjat
Une femme d’exception à l’origine de notre Fondation
Cet unique portrait d’Elisabeth Jeanne de Cerjat est celui d’une vieille femme au maintien droit et aux traits anguleux caressant un petit chien aux aguets. Pourtant, l’observateur attentif saura voir dans ce sourire à peine esquissé le reflet discret d’une âme généreuse. De même, il devinera le regard d’une profonde bienveillance et qui porte loin.
Lausanne, 3 janvier 1843
Un soleil blanc glisse sur la fine pellicule de givre qui recouvre Lausanne en ce matin de 1843. Âgée de 73 ans, assise face à la grande fenêtre de l’une des propriétés familiales héritées de son père, coiffée de son bonnet de dentelles et emmitouflée dans son épais manteau de laine, Elisabeth J. de Cerjat savoure ces instants de quiétude. Opérée de la cataracte à Heidelberg quelques mois auparavant, elle apprécie cette clarté de vue qu’elle a faillit perdre définitivement. Dans quelques heures, elle va signer en compagnie de William Haldimand l’acte de fondation de l’Asile des Aveugles, dont elle est, avec lui et Frédéric Recordon, la principale initiatrice et auquel elle va consacrer sa fortune.
L’espace d’un instant une brume légère s’échappe du manteau neigeux qui recouvre les ruelles et les prés. Elle revoit alors l’Angleterre de son enfance et se remémore les rires d’une famille de huit enfants originaire de Moudon et venue s’installer en Albion. Puis le long voyage de retour vers ce Pays de Vaud et sa capitale qu’elle rejoint, encore adolescente, et dans laquelle elle va vivre jusqu’à son décès en 1847.
Elisabeth Jeanne de Cerjat, une figure du progrès
Avec sa sœur Sabine, Elisabeth J. de Cerjat consacre l’essentiel de son existence et de ses ressources à venir en aide aux nécessiteux, à ces laissés-pour-compte d’un XIXe en plein essor et d’une cité en pleine mutation. Bien au-delà de l’image d’une bourgeoise confinée dans un rôle et une éducation propre à son époque, elle est une femme qui incarne les avancées de son siècle. Ouverte au progrès et attentive au bien-être des autres, elle nourrit cette vision d’avenir qui caractérise toutes les figures qui vont engendrer puis porter notre institution. Ainsi, par ses actions et sa générosité, elle va contribuer de manière notable tant au progrès social qu’à l’essor d’une science en devenir.
Une rencontre déterminante
Inquiète des éventuelles suites de l’opération qu’elle vient de subir (la technique de l’opération de la cataracte n’est alors pas encore courante) Madame de Cerjat est rassurée par son chirurgien : » En cas de complications, allez voir, de ma part, le Dr Recordon à Lausanne. Ce jeune médecin a été un brillant disciple et il bénéficie de toute ma confiance. »
Ce n’est pourtant pas en tant que patiente qu’ Elisabeth Jeanne de Cerjat va trouver le Dr Recordon à son retour. Elle veut lui faire part de son désir de venir en aide aux aveugles dénués de ressources. Elle sait maintenant d’expérience combien la perte de la vision peut être handicapante. Ainsi, elle se sent redevable d’avoir bénéficié de soins auxquels bien peu de ses contemporains ont accès.
Cette rencontre sera déterminante, non seulement en termes d’accueil et d’accompagnement de patients défavorisés mais aussi en termes scientifiques, puisque son soutien permettra au dispensaire créé trois ans plus tôt par le Dr Recordon d’étendre son action sociale et de devenir un centre de traitement ophtalmologique dont le rayonnement ne cessera de s’étendre.
Elisabeth Jeanne de Cerjat se lève. Un court instant, elle se tourne vers nous et nous sourit. Puis, discrètement suivie par son petit chine, elle sort du cadre pour entrer dans l’histoire…
Nicolas Peter