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Santé

Etudier les larmes pour mieux soigner l’orbitopathie dysthyroïdienne

Temps de lecture: 5' Posté le Par Esther Rich

La publication Differential profiling of lacrimal cytokines in patients suffering from thyroid-associated orbitopathy (Scientific Reports, vol 8 #10792; 2018) recense onze protéines susceptibles d’être impliquées dans cette maladie. Les recherches pourraient permettre d’étendre ces résultats au diagnostic d’autres pathologies oculaires.

Simone Eperon Locher, Dr ès sciences, cheffe de projet de recherche

L’orbitopathie dysthyroïdienne (TAO) est la maladie auto-immune la plus fréquente de l’orbite (lire encadré). Les patients qui en sont atteints présentent des douleurs, une irritation et une rougeur des yeux et des paupières. Les yeux peuvent être tellement exorbités qu’ils ne peuvent plus se fermer correctement. Cela altère la vision, les yeux sont souvent secs et les patients peinent à dormir correctement. Dans la plupart des cas, une prise de sang permet de bien cerner la maladie car le dysfonctionnement de la thyroïde est facile à identifier. Toutefois, dans certains cas de TAO, rien n’apparaît dans le sang et on ne parvient pas à diagnostiquer suffisamment tôt la maladie afin de prodiguer des soins précoces.

Comment vous est venue l’idée d’étudier les larmes?

En 2012, la Dr ès sci. Natacha Turck, du Département de science des protéines humaines de l’Université de Genève est entrée en contact avec la Fondation Asile des aveugles et nous a suggéré de nous intéresser aux larmes. Rien n’avait encore été fait dans plusieurs disciplines ophtalmologiques avec ce liquide biologique qui s’est révélé un très bon indicateur de la santé oculaire.

Comment avez-vous procédé?

Tout d’abord, nous avons analysé la composition des larmes de patients sains et avons établi le profil protéinique de celles-ci. Cela nous a permis de faire une sorte de cartographie. Nous avons répertorié plus de 1300 protéines! C’est un travail très minutieux et très long.

Simone Eperon

Qu’avez-vous découvert en lien avec l’orbitopathie dysthyroïdienne ?

Nous nous sommes penchés sur dix protéines lacrymales du système immunitaire, appelées cytokines. Nous avons constaté que chez les patients souffrant d’orbitopathie dysthyroïdienne, trois cytokines se trouvaient en quantités plus importantes que chez les personnes saines. Cela nous donne ainsi des marqueurs précis pour identifier de manière précoce la maladie. Grâce à ces recherches, lorsqu’un patient présente des orbites enflammées et que rien n’apparaît dans les analyses sanguines, on peut savoir, en analysant ses larmes, s’il souffre de d’orbitopathie dysthyroïdienne ou non.

Pourquoi est-ce important de diagnostiquer la maladie de manière précoce ?

Les différents traitements de la TAO sont assez lourds. Le patient est traité par des anti-thyroïdiens. S’il fume, le patient doit cesser le tabac. Beaucoup de patients ont besoin de gouttes oculaires pour humidifier et calmer la surface oculaire. Dans sa forme la plus légère, la TAO se soigne avec du sélénium en prise orale. Lorsque l’inflammation orbitaire est importante, le médecin propose un traitement anti-inflammatoire avec des corticostéroïdes.

Modérer la maladie et réduire les séquelles

En cas de résistance ou de contre-indication à ce type de médicament, on peut tenter une radiothérapie externe à faible dose ou un traitement immunomodulateur (à savoir un traitement qui stimule ou freine les réactions du système immunitaire). Dans tous les cas, la maladie active va durer entre 6 et 24 mois. Le but de ces différentes approches est de modérer la maladie et de réduire les séquelles.  Mais si l’inflammation des orbites n’est pas due à une TAO, il faut alors chercher une autre pathologie afin de ne pas infliger un traitement lourd inutilement.

Quelles sont les séquelles dont souffrent les malades d’orbitopathie dysthyroïdienne ?

Le patient peut garder des séquelles invalidantes et défigurantes. Dans les cas graves, le chirurgien doit procéder à une décompression orbitaire (retrait de l’os orbitaire) pour faire rentrer l’œil dans l’orbite. Il intervient sur les muscles oculaires pour réduire la vision double, allonge ou réduit les paupières et réduit les poches de graisse en cas d’hypertrophie graisseuse. Cette chirurgie ne peut se faire que lorsque la maladie est dans sa phase inactive depuis au moins six mois.

La cartographie des larmes que vous avez mise au point peut-elle servir à d’autres fins ?

Pour le moment, nous nous sommes surtout penchés sur la TAO. Nous sommes parvenus à identifier plus de 1300 protéines dans les larmes de patients en bonne santé. Il y a cinq, six ans, nous n’en connaissions que 500. Nous savons également que 50% des protéines des larmes sont des enzymes qui interviennent dans différents cycles biologiques. Cela signifie que ce liquide peut être précieux, à l’instar du sang, pour détecter différentes pathologies. Nous espérons étendre nos recherches en ce sens, car nous sommes convaincus que les larmes sont un outil diagnostic concluant. Leur prélèvement a aussi l’avantage d’être moins invasif qu’une prise de sang.

Le tabac nuit gravement à la santé des yeux

Tous les yeux ne sont pas égaux face à l’orbitopathie dysthyroïdienne. Tout d’abord, cette maladie affecte cinq fois plus de femmes que d’hommes, bien que les cas les plus graves de TAO touchent les hommes de plus de 50 ans.

Ensuite, le tabac. Fumer nuit gravement à la santé de manière générale mais également à celle des yeux. L’étude de la composition des larmes a montré que la concentration de certaines protéines du système immunitaire était plus faible dans celles des fumeurs. Cela signifie que leurs yeux sont moins bien armés pour se défendre en cas de maladie. Un constat qui semble couler de source tant on connaît l’effet néfaste de la fumée sur la santé, mais que la cartographie des larmes a permis de mettre clairement en évidence.

Don de larmes apprécié

Pour réaliser une étude sur les larmes, il faut…des larmes ! Simone Eperon Locher et son équipe ont demandé aux collaborateurs de la fondation de donner de leur personne et plus précisément d’offrir leurs larmes. Une cinquantaine de personnes a répondu à cet appel hors du commun. Mais attention, pas question de faire visionner un film triste aux volontaires. Cela n’aurait servi à rien, car la composition des larmes change lorsqu’elles sont sécrétées sur le coup d’une émotion. Plus simplement, le liquide a été prélevé à l’aide d’un buvard accroché au coin inférieur de la paupière. Certains donateurs avaient la larme facile et le buvard débordait en moins de deux. Pour d’autres, ce prélèvement pouvait prendre quelques minutes. Une fois le buvard rempli, il ne restait plus qu’à le passer dans une centrifugeuse pour en récolter le contenu à analyser.

Une fructueuse collaboration valdo-genevoise

La cartographie des larmes a été possible grâce à une étroite collaboration entre la fondation et le Département de science des protéines humaines de l’Université de Genève. Le Dr Mehrad Hamédani, la Dr Aurélie Obéric, le Dr Yan Guex-Crosier (Hôpital Jules-Gonin), la Dr ès sci. Natacha Turck (Université de Genève) et Simone Eperon Locher, entre autres, ont ainsi publié en 2018 différents articles en lien avec leurs recherches.

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