Création d’un centre COVID
Une gestion innovante de la crise en ophtalmologie
Antoine Safi, Nicolas Milliet, Delphine Carli, Delphine Gonin, Rose Blanc, Mario Desmedt, Jean-Pierre Klumpp, Thomas Jona Wolfensberger
Le 26 février 2020, la Suisse confirme son premier cas COVID. Après deux semaines seulement, 423 personnes sont contaminées. Pour faire face à la pandémie déclarée par l’OMS, les directives fédérales du 16 mars ont imposé la distanciation sociale, la fermeture des écoles et commerces non-essentiels ainsi que l’arrêt des soins électifs dans les hôpitaux et cliniques de Suisse. Le 20 mars, le Conseil Fédéral interdit les rassemblements de plus de 5 personnes. Dans les centres de soins, l’accueil ainsi que la salle d’attente sont des lieux sensibles. En effet, la proximité spatiale présente un risque important de transmission de patients infectés vers les patients et/ou collaborateurs sains.
Une task Force mise sur pieds
Face à cette pandémie, la Fondation Asile des aveugles (FAA) a mis sur pied une Task Force pour gérer la crise COVID et élaborer et coordonner les mesures pour assurer la sécurité sanitaire de son hôpital, de son EMS et de son centre pédagogique pour enfants malvoyants et aveugles. Cet article décrit les problématiques ainsi que les réflexions et solutions adoptées par l’Hôpital ophtalmique Jules-Gonin (HOJG).
Les directives à respecter
Au niveau national, par décision du Conseil Fédéral, les activités électives ont été suspendues. La cellule cantonale d’hygiène, de prévention et de contrôle de l’infection (HPCI) en collaboration avec les répondants HPCI de chaque hôpital et le centre de crise cantonal (Système d’Information et d’Intervention SII) ont donc assuré l’évolution de la pandémie et le suivi de la situation dans les hôpitaux. L’Office fédéral de la santé publique (OFSP) et la Direction générale de la santé du Canton de Vaud ont également communiqué régulièrement les consignes et directives à appliquer.
Dès le 6 mars et sous la conduite du directeur général, une Task Force s’est réunie trois fois par semaine. Elle était constituée des directions générale, médicale, soignante, opérationnelle et santé communautaire, ainsi que des responsables des services HPCI, qualité et gestion des risques, pharmacie, anesthésie et communication. Assurer la sécurité des collaborateurs et des patients était l’objectif primordial qui a guidé les décisions de la Task Force.
La sécurité, objectif principal de la Task Force
Le travail en Task Force a permis de rassembler beaucoup de sources d’information, par son intégration dans le dispositif de santé public mais aussi grâce aux réseaux personnels nationaux et internationaux des membres, ce qui a favorisé l’identification très en amont des risques multiples, ainsi que des éléments à considérer. À de nombreuses occasions, les débats ont été intenses avec des pesées d’intérêts complexes. La sécurité des patients aussi bien que des collaboratrices et collaborateurs est restée en permanence l’objectif primordial, non négociable. Durant les périodes de danger accru, la Task Force s’est réunie quotidiennement à la première heure.
Les décisions prises étaient documentées à mesure, à l’attention de tous les collaborateurs. Les expériences vécues ensemble au sein de la Task Force et dans toutes les équipes impliquées ont permis de développer une dynamique participative interprofessionnelle performante et également de renforcer la réactivité et la capacité à mettre en œuvre.
Le Centre COVID, une unité autonome innovante
La Task Force a donc mis sur pied un centre physiquement séparé de l’hôpital et entièrement dédié à la prise en charge des patients suspects COVID, depuis le centre de tri jusqu’à leur retour à domicile. Cette unité, dénommée Centre COVID, a permis la gestion de la crise COVID d’une manière sûre, facilement applicable, efficace et à moindre coût.
Entrée du Centre COVID
Le 17 mars, une tente de tri (Fig 1), unique entrée de l’hôpital et de l’EMS, a été mise en place dans la cour de la Fondation. Au moyen d’un questionnaire médical et d’une prise de température, les patients, accompagnants, fournisseurs et visiteurs sont répartis en deux flux : le flux des patients suspects est redirigé vers le centre COVID, alors que l’autre pénètre dans l’hôpital. Le service de communication s’est chargé de mettre en place une signalétique adaptée et d’élaborer les informations pour la patientèle. Le service de gestion administrative a simplifié le processus d’admission.
Le centre COVID
Le site de la FAA à l’Avenue de France à Lausanne comprend l’HOJG ainsi que d’autres bâtiments adjacents utilisés pour les services de soutien, le service social et réadaptation basse vision pour malvoyants et aveugles et un EMS (Fig. 2).
Aménagement des locaux pour le centre COVID
Le centre COVID a été aménagé pour les patients à risque ou potentiellement atteints. Les locaux du service social et réadaptation basse vision, situé au rez du bâtiment historique de la fondation, ont été convertis en un centre de soins ophtalmique d’urgence (Fig. 3 et 4).
Différents espaces
Cet espace comprenait une grande salle d’attente, un cabinet médical, une salle de dépistage COVID des patients installée dans la salle de consultation des ergothérapeutes et assistants sociaux en basse vision (Fig. 5), un box de consultation aménagé dans le bureau de deux assistants sociaux (Fig. 6), une salle pour les tests de champ visuel dans le bureau des ergothérapeutes spécialistes en orientation et mobilité et une salle pour l’imagerie ophtalmique installée dans le bureau de l’antenne romande de Retina Suisse. Une sortie séparée a été mise en place pour assurer un flux patient unidirectionnel.
Sortie du centre COVID
La sortie du centre COVID se fait par 3 voies différentes uniquement dédiées aux patients suspects ou atteints.
- L’Hôpital traite les patients souffrant de pathologies bénignes sur place avec un retour à domicile ensuite.
- Il redirige les patients nécessitant une hospitalisation par une voie propre vers une unité hospitalière, séparée de l’hôpital et spécialement dédiée aux patients suspects.
- Pour les patients nécessitant une opération, un bloc opératoire isolé des autres permet la prise en charge en toute sécurité des indications chirurgicales.
Interdiction des interventions non urgentes
Le 13 mars, le Conseil fédéral interdisait toutes les interventions non urgentes afin d’éviter les contaminations et de libérer de l’espace dans les hôpitaux pour accroître leur capacité en soins intensifs. Les unités des soins intensifs occupent dès lors une partie du bloc opératoire des hôpitaux. De plus, certains services d’ophtalmologie comme celui des Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG) ont fermé pour affecter leur personnel à la prise en charge des patients COVID. L’HOJG devient le principal centre d’urgences ophtalmiques en Suisse romande. La task force crée alors une procédure spécifique pour les interventions chirurgicales.
Création d’une procédure spécifique
- un circuit court avec ascenseur dédié
- des protections pour le personnel
- une climatisation à pression négative au bloc opératoire
- des anesthésies loco-régionales privilégiées
- en cas d’anesthésie générale, une minimisation des fuites de ventilation artificielle lors de l’extubation
- des opérations en ambulatoire privilégiées
- hospitalisations dans l’unité COVID
Résultats des mesures mises en place
A la tente de tri
L’équipe de triage se composait d’assistants en soins et santé communautaire, d’infirmiers et d’un médecin. Le tri débutait par une désinfection des mains suivie d’une prise de température, de la remise d’un masque et d’un questionnaire.
Le questionnaire portait sur les points suivants:
- Contact avec une personne COVID
- Contact avec une personne souffrant de symptômes COVID
- Fièvre au-delà de 38°
- Symptômes respiratoires
- Pharyngite/rhinite
- Agueusie/anosmie
- Douleurs abdominales/diarrhée
- Myalgie
Si aucune réponse n’était positive, alors, le patient pouvait entrer à l’hôpital. Dans le cas contraire, si le patient était suspect, nous consultions l’HPCI pour évaluer les critères de risque. En cas d’urgence, l’unité COVID prenait le patient en charge.
Le centre COVID a évité la propagation du virus
Le centre COVID a drainé 66 patients suspects durant la période de pandémie du 28 mars au 31 mai 2020, évitant la propagation du virus au sein de l’hôpital, protégeant ainsi les patients et les collaborateurs.
Conclusions
Le statut autonome de l’Hôpital ophtalmique Jules-Gonin, affilié au CHUV mais géré par une fondation privée, lui a permis de mettre en place en quelques jours seulement des mesures drastiques. L’objectif était de protéger ses patients, mais également ses collaborateurs de la pandémie. Ainsi, en deux jours seulement, il a transformé un service entier en un centre de soins d’urgence entièrement autonome. Il a également adapté la prise en charge complète et indépendante des patients suspects COVID. Sa gestion déterminée de la crise a permis à l’Hôpital ophtalmique de Lausanne de protéger ses collaborateurs et d’éviter la propagation du virus sans compromettre les soins de haute qualité prodigués à ses patients.
Remerciements
En conclusion, nous tenons à remercier toutes celles et ceux qui ont contribué à la rédaction de cet article. En particulier Aki Kawasaki, Muriel Faienza, Alyssia Lohner, Fanny Casas, Yann Leuba, Pierre Navioz, Giacomo Bianchetti et Jean Roche. De la Fondation Asile des aveugles, Hôpital ophtalmique Jules-Gonin, Lausanne.
Référence