Un café avec Charles-André Roh
Romancier, organisateur de camps, créateur d’une webradio : à découvrir vos activités ces dernières années, le lien avec l’Hôpital ophtalmique Jules-Gonin n’est pas évident. Pourtant on peut vous y croiser souvent, loin des salles d’attente…
Il garde de son passé de cryptanalyste le goût du mystère et des objectifs à atteindre à tout prix. Lorsqu’il perd la vue à l’approche de la soixantaine, Charles-André Roh, aujourd’hui âgé de 67 ans, accuse le coup et souffle enfin. Confidences.
Charles-André Roh : Effectivement, je n’ai plus besoin de consulter aussi régulièrement qu’il y a quelques années, mais c’est un plaisir pour moi et un juste retour d’ascenseur de collaborer avec les équipes en charge du développement de nouveaux dispositifs destinés à la basse vision et aux non-voyants. Même si j’ai perdu la vue il y a huit ans, je reste passionné par l’informatique et la technologie qui ont fait partie de ma vie pendant près de 30 ans.
Vous avez été cryptanalyste, écrit des romans sur les hackers, animé des conférences sur l’univers sulfureux de la sécurité informatique. Comment avez-vous vécu le moment où ce pan de votre vie s’est arrêté pour des raisons de santé ?
Comme un immense soulagement ! Je menais une vie palpitante, mais superficielle. J’ai vécu comme une chance le fait de pouvoir tout arrêter du jour au lendemain. Perdre la vue a été pour moi un cadeau de la vie.
Comment est-ce arrivé ?
Il y a vingt ans, j’ai eu un souci au niveau d’un œil mais je n’y ai pas vraiment prêté attention. Des années plus tard, des lésions vasculaires sont apparues… Je me rappelle avoir dit à mes collègues : « J’ai rendez-vous à l’Hôpital ophtalmique pour des examens, à demain ! » Je n’y suis jamais retourné. Nous étions en mars et j’ai appris que je passerais les prochaines vendanges dans la nuit…
Votre force de caractère semble ne jamais avoir vacillé…
Différents médecins m’ont annoncé qu’après plusieurs mois de cécité, j’allais probablement être rattrapé par une dépression. Le cerveau, ayant perdu un sens, manifesterait ainsi sa souffrance. Cela n’est pas arrivé. Je ne suis pas mieux qu’un autre, mais – peut-être est-ce dû à mes origines valaisannes – j’avance avec l’idée que lorsqu’il y a un objectif, il faut l’atteindre. Le jour où on m’a annoncé que j’allais perdre la vue, je me suis dit : « Soit je pleure sur mon sort, soit je me bats en allant de l’avant avec une approche différente de la vie. » Et je me suis lancé des nouveaux défis.
À commencer par des camps organisés pour les non-voyants…
Oui, entre autres. J’ai eu le projet fou de faire vivre des expériences hors du commun – plongée sous-marine, conduite de char militaire, vol en hélicoptère – à des jeunes, voyants ou non-voyants. Nous avons vécu des moments extraordinaires.
Quels nouveaux projets vous animent ?
Aujourd’hui, je prends le temps de vivre, de réfléchir et de mettre sur pied des projets qui me tiennent à cœur. Mais ce qui m’anime, aussi basique que cela puisse paraître, c’est de me battre pour les causes et les personnes qui en valent la peine. D’où l’idée de la webradio « Super7radio.ch ». Réalisé avec le soutien de mon ami Alain Morisod, ce projet vise à permettre à des jeunes non-voyants de faire du web-journalisme. Et je m’apprête à découvrir la communication animale. Ma chienne Taïga, qui me guide au quotidien, sait anticiper mes besoins, me protéger. J’aimerais parfois en faire autant pour elle…