Le Festival Images de Vevey devient tactile
Le Festival Images de Vevey adapte quatre expositions pour les élèves malvoyants.
Quoi de plus difficile d’accès pour les personnes malvoyantes qu’une exposition de photographies… ? Cette année, le Festival Images de Vevey et le Centre pédagogique pour élèves handicapés de la vue (CPHV) à Lausanne ont collaboré. Ils ont rendu certains projets photographiques accessibles aux élèves malvoyants, qu’ils soient scolarisés au CPHV ou dans des classes inclusives. « Parmi les 50 projets retenus pour l’édition 2020, nous en avons sélectionné quatre qui ont un potentiel pédagogique et qui peuvent être adaptés pour les malvoyants », explique Anne Bourban, responsable de la médiation culturelle et de l’accueil des publics pour le Festival.
Ces expositions ont été présentées aux classes de la région venues visiter le festival. « L’idée n’était pas uniquement de rendre accessibles ces projets aux malvoyants, mais aussi de donner aux élèves sans déficit visuel une meilleure compréhension du handicap de leurs camarades », explique-t-elle.
Toucher avec les yeux, voir avec les doigts : voilà ce qu’a proposé le Festival de Vevey aux élèves du primaire. Et pour y parvenir, Alexis Fruet, transcripteur au CPHV, a dû imaginer une façon originale de rendre visibles les images par le toucher.
Paysages, perspectives et abeilles
Un des projets retenus qui a donné le plus de fil à retordre à Alexis Fruet et ses collègues est sans aucun doute celui de Lebohang Kganye. L’artiste sud-africaine a réalisé un court- métrage d’animation à partir de ses propres photos de famille. Découpées à la manière d’un théâtre d’ombres, les silhouettes de ses aïeux s’animent pour raconter des scènes de la vie quotidienne. la reconstitution des cinq saynètes mises en scène comme de grands dioramas complète la projection. Une des vitrines des jardins du Rivage présente cette dernière.
L’artiste joue sur la profondeur et l’effet de perspective. « Les malvoyants savent ce qu’est la perspective, mais pour les aveugles, cette notion est totalement inconnue, explique Alexis Fruet. Nous avons donc réalisé une maquette en 3D à manipuler. Les personnages et les objets sont disposés tels qu’ils le sont dans les œuvres de l’artiste. Puis, nous avons fabriqué un dessin en relief afin que celles et ceux qui ne connaissent pas la perspective puissent comprendre l’image. Pour eux, la maquette en 3D présente des objets plus ou moins grands, sans qu’ils puissent réaliser qu’il s’agit de plans différents. » Ce type d’adaptation vise à permettre un échange intéressant entre les élèves.
Rendre accessible les reflets des paysages de montage
Autre exposition du Festival de Vevey rendue accessible par l’équipe du CPHV : celle de Jean-Marie Donat, baptisée Rorschach. Le Français a eu l’idée de placer à la verticale des images de paysages de montagne se reflétant dans l’eau. Le résultat rappelle curieusement les tests de Rorschach que la psychologie utilise. Là aussi, le défi a été de taille pour Alexis Fruet. Comment rendre perceptible la notion de reflet à un malvoyant ? « Nous avons réalisé deux maquettes en deux dimensions, explique le spécialiste. L’une composée simplement du paysage et du lac. L’autre avec le paysage et son double pour donner l’idée du reflet et permettre ainsi de percevoir – tactilement – l’effet Rorschach. Une superposition de matières différentes, une pour chaque élément, compose les deux maquettes. » Du velours pour le ciel, du métal pour la neige, de la pierre pour la montagne, un gazon synthétique pour la forêt.
L’univers passionnant des ruches adapté aux élèves malvoyants
Pour sortir de l’univers purement tactile, le Festival Images de Vevey a également amené les enfants dans une expérience qui met les cinq sens en éveil. Ils sont partis à la découverte du monde fascinant des abeilles grâce au projet du jeune Vaudois Aladin Borioli.
« L’artiste, dont le grand-père était apiculteur, nous plonge dans l’univers passionnant des ruches, explique Anne Bourban. Les élèves passent dans un tunnel obscur où ils entendent les sons de la ruche. Ils peuvent toucher les alvéoles ainsi que des sculptures faites avec du bois d’anciennes ruches. Ils peuvent également humer les odeurs de ces habitats particuliers. »
Et pour mêler l’utile à l’agréable, les classes ont eu droit à une dégustation de miel. « Nous avons proposé aux enseignants plusieurs activités à réaliser autour des abeilles », précise Anne Bourban. Quant à Alexis Fruet, il a fabriqué quelques images en relief sur un papier spécial thermogonflable (voir ci-dessous). Cela permet aux malvoyants d’avoir une idée d’ensemble du projet d’Aladin Borioli.
Reconstituer des visages au Festival Images de Vevey
Dernier projet à intégrer le parcours proposé aux classes, celui de Kensuke Koike et Thomas Sauvin : No more, no less. Les artistes ont utilisé une série de portraits en noir et blanc. Un étudiant en photographie de l’Université de Shanghai dans les années 1980 les avait réalisés. Ensuite, les artistes les ont découpés puis réassemblés pour en faire des collages décalés. Les élèves, à la manière des deux artistes, ont pu s’amuser à reconstituer des visages. Ceci à partir de nez, yeux et bouches prédécoupés.
« Les malvoyants n’ont que peu ou pas accès aux visages et donc au langage non verbal. Cette activité permet aux enfants sans déficit visuel de réaliser tout ce qu’un visage permet d’exprimer et que les malvoyants ne perçoivent pas », précise Anne Bourban.
Aladin Borioli et son travail sur les ruches ont permis aux enfants de découvrir quelques-unes des différentes variétés qui existent.
Une quarantaine de classes bénéficient de ces projets inclusifs
Pour cette mouture 2020, le Festival Images de Vevey a donc misé sur ces quatre projets inclusifs. Ces derniers sont à disposition des classes de la région accueillant un élève malvoyant et de celles du CPHV. Au total, cela représente une quarantaine de classes. Dans le futur, le festival veveysan réfléchit à la manière de rendre accessible au grand public une partie de ses expositions adaptées. Qu’il soit voyant ou pas.
Les élèves malvoyants ont pu reconstituer des visages à la manière des collages décalés de Kensuke Koike et Thomas Sauvin.
Un papier magique
Pour imprimer des images en relief, Alexis Fruet utilise du papier thermogonflable. À première vue, les feuilles ressemblent à n’importe quelles autres, si ce n’est qu’elles sont un peu plus épaisses que celles faites en cellulose. Ce papier est recouvert d’une pellicule chimique composée de microcapsules qui éclatent lorsqu’elles sont chauffées et soumises à une lumière intense. Ainsi, les traits noirs gonflent lorsque le papier est passé dans une sorte de four à imprimer. Ce procédé permet de réaliser des copies en relief qui peuvent inclure des textes en braille, par exemple. C’est sur ce type de papier que les images en relief ont été réalisées pour adapter certaines photos présentées au Festival.