La Dre Adeline Berger nommée Principal Investigator
En ce début d’année 2022, le Centre de recherche de la Fondation Asile des aveugles ouvre un nouveau groupe de recherche. Celui-ci est dédié à l’étude des mécanismes épigénétiques impliqués dans le développement des maladies oculaires. Nous sommes partis à la rencontre d’Adeline Berger, l’investigatrice principale (PI ou Principal Investigator) de cette nouvelle équipe.
Quel est votre parcours à la Fondation ?
Je suis arrivée en mai 2019 dans le groupe du Prof. Arsenijevic au Centre de recherche des sciences de la vue pour travailler sur deux axes : (1) participer à certains projets du Prof. Arsenijevic, focalisés sur l’épigénétique des dégénérescences rétiniennes, (2) poser les bases de mon projet sur l’épigénétique du rétinoblastome, soutenue et épaulée par le Prof. Munier.
On retrouve des mécanismes identiques et complémentaires entre les différents projets sur lesquels j’ai commencé, qui sont très proches, conceptuellement parlant.
En quoi consiste le rôle de Principal Investigator (PI) ?
C’est un peu comme gérer une mini-entreprise (rires), de par la variété des tâches. En étant PI, je suis indépendante et plus autonome. J’ai plus de liberté quant à la direction que peut prendre un projet, dans le choix des questions que je veux aborder ainsi que l’approche pour y répondre. J’ai aussi de nouvelles responsabilités en plus de celles de produire des résultats scientifiques de qualité. Par exemple, l’obtention de financements, la gestion du budget de l’équipe, sa cohésion et l’épanouissement de chacune et chacun de ses membres, par exemple.
Ce sont beaucoup de casquettes auxquelles on n’est pas forcément habitué avant de devenir PI. J’ai déjà supervisé de nombreux étudiants et techniciens et participé à la plupart de ces tâches en tant que post-doc, mais cette fois j’en porte la responsabilité.
Quel est l’axe de recherche de votre équipe ?
Mon groupe se concentre sur l’étude des modifications épigénétiques impliquées dans les maladies oculaires. Pour le moment notre axe principal porte sur le rétinoblastome ; c’est un cancer de la rétine en développement, généralement diagnostiqué chez les enfants avant l’âge de 5 ans. Cette maladie peut être mortelle. En effet, elle doit être détectée et traitée à temps. D’autre part, il en existe certaines formes résistantes aux traitements actuels, qui nécessitent d’avoir recours à l’énucléation pour éviter la propagation de la maladie et protéger l’enfant.
D’un point de vue moléculaire, nous connaissons depuis longtemps l’implication du gène RB1 dans cette pathologie, mais très peu d’autres altérations génétiques ont pu être montrées. Nous suspectons fortement qu’une régulation épigénétique soit responsable du développement et/ou de l’évolution de ce cancer. Nous voulons comprendre les mécanismes de la maladie pour mieux la stopper. Des traitements basés sur des inhibiteurs épigénétiques sont aujourd’hui déjà utilisés dans le cas d’autres maladies, surtout des cancers, et il existe de nombreux essais cliniques en cours. Cela pourrait être une base de recherche pour nous dans le développement de nouvelles stratégies thérapeutiques pour le rétinoblastome.
C’est quoi, l’épigénétique ?
Comparons la cellule à un peintre. Si l’on imagine que les différentes versions d’un gène sont des couleurs de peinture, alors l’épigénétique correspondrait aux outils dont la cellule dispose pour exprimer ses gènes. En effet, avec les mêmes couleurs disponibles, une peinture réalisée au pinceau donnerait une œuvre complètement différente de celle faite à la brosse.
L’information génétique et le contrôle épigénétique sont donc les deux facteurs qui contribuent à l’hétérogénéité de l’expression des gènes. Ils font de nous des individus uniques, mais participent également au développement de maladies.
Quelles sont les futures étapes de votre groupe de recherche ?
Cela fait presque 2 ans que j’étudie des « échantillons » de patientes et patients atteints de rétinoblastome traités au sein de notre hôpital. Cela me permet de poser les bases de mon projet. Grâce au soutien de la Fondation et de financements externes, j’ai pu récemment recruter un post-doctorant. Je vais également lancer un appel d’offres pour recruter un-e technicien-ne pour renforcer mon équipe.
Nous continuerons à définir le profil épigénétique des cas de rétinoblastome dépistés ici, dans notre hôpital, en fonction du stade de la maladie, du traitement reçu, etc. avec pour objectif final de mieux connaitre la maladie, pour développer des traitements adaptés et efficaces contre les formes aujourd’hui résistantes. Nous avons la chance d’être un centre de référence dans le traitement de cette pathologie, avec des cliniciens mondialement reconnus pour leur expertise, et donc d’avoir un accès privilégiés à ces échantillons rares.
Prévoyez-vous des collaborations avec d’autres instituts ?
Oui, bien sûr. Nous collaborons déjà très étroitement avec le bio-informaticien Matthew Brooks et son équipe dirigée par le Prof. Anand Swaroop du National Eye Institute (NIH) dans le Maryland (USA), spécialiste du développement rétinien. En effet, son apport est indispensable pour moi et nous échangeons très régulièrement sur nos projets.
Nous interagissons aussi beaucoup avec le Prof. Nicolo Riggi du CHUV (Centre hospitalier universitaire vaudois). Il est expert des mécanismes épigénétiques de certaines tumeurs pédiatriques comme le sarcome d’Ewing. C’est une tumeur osseuse maligne qui se développe chez les jeunes âgés de 5 à 25 ans.
Finalement, via le réseau EURbG (EUropean Retinoblastoma Group), nous sommes en train de mettre en place des collaborations avec plusieurs groupes spécialisés sur le rétinoblastome. Ces collaborations se mettent en place dans toute l’Europe.