Chien guide : les yeux de son maître
Reportage à la gare de Lausanne avec Fino, chien guide en formation.
Être chien guide ne s’improvise pas : après avoir suivi un cursus sur plusieurs mois, les labradors aident les personnes aveugles et malvoyantes dans tous leurs déplacements.
Fino ressemble à tous les labradors de son âge : il est absolument craquant. Sa bouille de jeune chien et son attitude de grosse peluche appellent les caresses et les mots gentils. Pourtant, Fino n’est pas qu’un animal de compagnie, c’est aussi un chien guide en devenir. Âgé de deux ans, il a pratiquement terminé sa formation. En attendant d’être remis à son futur maître, Fino peaufine ses aptitudes de guide dans la gare de Lausanne en ce lundi pluvieux. «Tenu en laisse, Fino est un chien comme un autre, mais dès que je lui passe le harnais, il sait qu’il doit bosser», explique Pascal Aeby, instructeur et responsable qualité à la Fondation romande pour chiens guides d’aveugles à Brenles.
Une fois harnaché, Fino sort en effet de sa léthargie et marche à la gauche de Pascal Aeby. Le duo se dirige sur le quai n° 1, près des rails. Fino s’arrête doucement avant la ligne blanche et pivote vers sa droite pour faire comprendre à son maître qu’il ne doit pas continuer dans cette direction. « Il a appris à ne pas s’approcher d’un précipice, précise l’instructeur. Même si je lui demande de poursuivre, il n’ira pas. Cela s’appelle de la désobéissance intelligente. » Même constat lorsque Pascal Aeby s’approche d’une rampe d’escalier. Le labrador s’arrête avant la première marche. « Il me signifie qu’il y a un danger. Tant que je ne taperai pas avec la canne ou le pied contre la marche pour lui dire que j’ai compris ce qu’il me montrait, il ne descendra pas. »
Pluie de croquettes
Pour arriver à de telles prouesses, Pascal Aeby utilise un petit boîtier qui émet un son. Un clic donne droit à une récompense. « Au début de la formation, je clique beaucoup et c’est une véritable pluie de croquettes qui s’abat sur le chien. Les labradors sont très gourmands, cela aide à les faire obéir.
« Tenu en laisse, Fino est un chien comme un autre,
Pascal Aeby, instructeur et responsable qualité à la Fondation romande pour chiens guides d’aveugles
mais dès que je lui passe le harnais, il sait qu’il doit
bosser »
Nos chiens n’ont cependant pas le droit de manger ce qui se trouve par terre. On veut éviter qu’ils aient toujours le museau au sol. Ils doivent être attentifs à leur environnement pour guider la personne malvoyante. Ils ont donc appris à refuser la nourriture. Tant que je ne clique pas, ils auront beau avoir une croquette sous le nez, ils ne la mangeront pas. »
Les instructeurs de la Fondation utilisent 36 signaux auditifs inspirés de l’italien pour communiquer avec les chiens. « Vai » pour leur demander d’avancer, « Lampada » pour qu’ils trouvent un passage piéton avec un feu à actionner par un bouton pressoir, « Piede » pour que l’animal vienne aux pieds de son maître, « Destra » et « Sini » pour droite et gauche, etc. « Fino a bientôt fini sa formation. Il est destiné à un homme de 70 ans qui a déjà eu plusieurs chiens guides. Fino est un animal très calme. Il ne conviendrait pas à une personne trop active, précise Pascal Aeby. Christine Baroni-Pretsch, la directrice de la Fondation, cherche toujours à placer un chien chez une personne qui lui correspond. Le but est de former un couple efficace et harmonieux. »
« Etre famille d’accueil a été une expérience magnifique »
Valentine de Preux, assistante de la direction médicale à l’Hôpital ophtalmique Jules-Gonin, a accueilli le jeune Cyrano jusqu’à ses 18 mois. Le but de cette période passée dans une famille d’accueil est de sociabiliser le chiot le plus possible afin qu’il n’ait peur de rien. « Il me suivait partout : au travail, aux concerts, au restaurant, dans le train, les magasins, au cinéma… Il ne restait jamais seul. Grâce à son gilet d’apprenti avec un gros « L » inscrit dessus, il avait le droit d’entrer partout. Cyrano était une vraie Ferrari : une superbe boule d’énergie et d’intelligence », explique Valentine de Preux.
Tous les quinze jours, le duo se rendait à des cours dispensés par la Fondation pour apprendre aux chiots à répondre aux ordres. « Cyrano était un vecteur de gaieté partout où je l’emmenais. Il a été la mascotte de l’hôpital. Mes collègues n’hésitaient pas à m’appeler pour descendre aux urgences avec Cyrano afin de dénouer certaines situations tendues. Je l’ai emmené à l’EMS Clair-Soleil où il a fait la joie des résidents et résidentes. »
Valentine de Preux et ses deux enfants ont eu le cœur gros au moment de rendre le chien à la Fondation afin qu’il entame sa formation. « Je savais dès le début que j’allais devoir m’en séparer, mais cela a été dur malgré tout. Être famille d’accueil a été une expérience magnifique bien que très prenante. »
Le labrador n’a pas passé la dernière épreuve de son examen avec l’expert de l’AI. « Il était peut-être un peu trop énergique. Aujourd’hui, il coule des jours heureux dans une famille à la campagne », conclut son ancienne maîtresse.
Entre 90 et 120 cours pour devenir un chien guide compétent
Fondée en 1994, la Fondation romande pour chiens guides d’aveugles a son siège à Brenles, dans le canton de Vaud. La fondation a également une antenne à Magliaso, au Tessin. Chaque année, elle forme environ 22 labradors retriever. « C’est la race la plus utilisée pour les chiens guides car ils ne sont pas agressifs et s’adaptent facilement », explique Christine Baroni-Pretsch, directrice de la Fondation. L’institution a son propre élevage.
Dès leur neuvième semaine de vie, les chiots partent dans une famille d’accueil. Ils reviennent ensuite à la Fondation à l’âge de 18 mois. Après une évaluation de leur état de santé et de leur tempérament, ils entament un cursus qui s’étale sur environ neuf mois et compte en moyenne 120 leçons. À la fin de celui-ci, chaque chien passe ensuite un examen en présence d’un expert de l’AI. S’il réussit, il est remis à un bénéficiaire. « Pendant les douze premiers jours, un instructeur diplômé travaille avec la personne malvoyante pour fournir le « mode d’emploi » de l’animal et vérifier que tout se passe bien, explique Pascal Aeby, instructeur et responsable qualité à la Fondation. Les visites se poursuivent à raison d’une fois par mois pendant six mois. »
Après ce long suivi, l’AI vérifie que le duo fonctionne bien et donne son feu vert final. Le bénéficiaire reçoit alors un montant mensuel pour couvrir les frais de nourriture et de vétérinaire de l’animal. « La formation complète d’un chien guide coûte très cher et est financée à 80 % par des dons privés. Les 20 % restants sont versés par l’AI », précise Christine Baroni-Pretsch.
Environ 40 % des labradors élevés ne remplissent pas les critères exigés pour devenir chien guide. Un animal craintif, distrait ou trop énergique ne peut pas remplir correctement sa mission.
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