Vision: à chaque âge son dépistage
Ou comment prendre soin de ses yeux même quand tout semble aller pour le mieux.
En silence, sans douleurs ni symptômes tonitruants, nos yeux peuvent être en proie à des troubles, à la maladie ou au vieillissement. Le problème : sans prise en charge suffisamment précoce, certains dégâts peuvent être irrémédiables. La marche à suivre ? Être attentif à tout problème visuel (qu’il soit soudain ou progressif). Il faut également être conscient de ses vulnérabilités personnelles (antécédents familiaux notamment) et particulièrement vigilant à certains âges clés.
Suivi strict dès la naissance en cas d’anomalie visuelle, gêne repérée à l’âge des premiers pas ou à l’entrée à l’université, stratégie des bras qui s’allongent pour lire un magazine avant que cela ne suffise plus : l’évolution de nos yeux est faite de possibles périls et de troubles parfois incontournables, liés au temps qui passe.
Zoom sur six étapes décisives pour la vision
Enfance : l’impérative vigilance
Séries de tests à la naissance, lors des visites chez le pédiatre, à l’école : le dépistage des yeux des enfants se veut d’autant plus rigoureux qu’il est crucial. « Il y a bien sûr la prise en charge de pathologies spécifiques qui peuvent toucher les yeux des plus jeunes, mais il est également important de repérer au plus tôt tout ce qui peut entraver l’acquisition optimale de la vue. Et pour cause, dans les premières années de vie, une compétition peut opposer les deux yeux. En clair, si l’un des deux voit moins bien que l’autre, il peut être définitivement ignoré par le cerveau », alerte la Dre Nathalie Voide, médecin hospitalière à l’unité de strabologie et ophtalmologie pédiatrique de l’Hôpital ophtalmique Jules-Gonin.
Défi supplémentaire : « Le plus souvent, les enfants ne se plaignent pas de troubles visuels car ils contournent très bien ces difficultés. Et si un œil est défaillant, l’autre compense, souligne l’experte. Mais certains signes ne trompent pas. »
Les faisceaux d’indices peuvent être de plusieurs ordres : aspect des yeux (un œil plus petit, une paupière tombante, présence d’un strabisme, etc.), comportement de l’enfant (front plissé ou tête systématiquement penchée pour lire, etc.) ou encore ses mots («L’image est floue», «Les lignes bougent», etc.). Et la Dre Voide d’ajouter : « Le suivi par les professionnels est essentiel, mais les parents sont les meilleurs observateurs de leurs enfants au quotidien. Ils doivent se faire confiance et consulter le pédiatre ou l’ophtalmologue au moindre doute. Généralement, plus un problème visuel est pris en charge précocement, meilleures sont les chances de succès et de rapidité du traitement. »
Médecin hospitalière à l’unité de strabologie
20-25 ans : études et myopie, le duo à surveiller
Vision floue de loin mais nette de près : la myopie se manifeste généralement de façon très caractéristique. Si elle peut apparaître dès l’enfance (vers 8-12 ans déjà), elle peut également survenir sur les bancs de l’université, lorsque la vision de près est sursollicitée au quotidien.
Si les troubles persistent, un contrôle chez l’ophtalmologue est nécessaire. Il permettra d’évaluer le degré de myopie et adopter les lunettes de vue ou lentilles requises. À noter que, depuis quelques années, la myopie s’est muée en véritable épidémie à l’échelle de la planète. En cause ? « Sans aucun doute nos comportements, révèle le Dr François Thommen, co-responsable de la policlinique et des urgences de l’Hôpital ophtalmique Jules-Gonin. Nos yeux ont besoin de la lumière naturelle et de pouvoir relâcher régulièrement l’effort d’accommodation inhérent à la vision de près en regardant au loin. Or nos vies deviennent de plus en plus sédentaires et centrées sur les écrans. » La vigilance est donc de mise car la myopie n’est pas qu’une question de lunettes portées parfois en rechignant : « Une myopie sévère expose à un risque accru de glaucome, de cataracte et de décollement de la rétine », rappelle le spécialiste.
40 ans : l’heure du premier dépistage du glaucome
À l’approche de la quarantaine, le dépistage du glaucome est un impératif. Il est même à envisager plus tôt en cas d’antécédents familiaux. Dû à une pression trop élevée au niveau du nerf optique, le glaucome détruit les connexions nerveuses qui s’y trouvent. Il les détruit de façon irréversible et sans symptômes les premiers temps. Deuxième cause de cécité évitable, «le glaucome est un voleur de vue silencieux», alerte le Dr Thommen. Avant de rappeler : « Des traitements efficaces existent pour limiter cette pression oculaire excessive et les dégâts qu’elle engendre. »
Co-responsable de la policlinique et des urgences
40-45 ans : l’incontournable presbytie
Quand soudain, pour lire un texte ou voir un message sur son téléphone, une personne se surprend à tendre le bras pour éloigner ce texte étrangement flou… En cause, très probablement, si elle se trouve dans le virage de la quarantaine : le début de la presbytie.
Si la gêne est propre à chaque personne, ce défaut de réfraction est pourtant universel. La raison ? « Pour voir de près, nos yeux font un travail d’accommodation par le biais de muscles situés au niveau du cristallin, qui se bombe pour faire converger les rayons lumineux sur la rétine. Avec le temps, ce processus devient moins efficace et nous perdons la capacité à faire cette » mise au point » pour voir de près », explique le Dr Bao-Khanh Tran, co-responsable de la policlinique et des urgences de l’Hôpital ophtalmique Jules-Gonin. Le remède prend alors la forme de lunettes aux verres correcteurs permettant de lire à nouveau confortablement.
Le secret des personnes en apparence épargnées et pouvant lire sans lunettes ? « Certains degrés de myopie peuvent compenser un temps le problème et l’inconfort est directement lié aux activités privilégiées au quotidien. Mais passé 60 ans, l’accommodation naturelle ne se fait plus du tout », poursuit l’expert.
55-60 ans : le risque de dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA)
Impression de manquer de lumière, difficulté à s’adapter aux changements de luminosité, perte de la vision centrale : la DMLA altère la partie centrale de la rétine (la macula). Survenant le plus souvent à la cinquantaine, elle ne donne pas tout de suite lieu à des symptômes. Un suivi régulier chez l’ophtalmologue est donc important pour la repérer au plus tôt et tenter de freiner son évolution.
Co-responsable de la policlinique et des urgences
60-65 ans : l’inévitable cataracte
C’est un voile qui glisse sur les yeux aux alentours de la soixantaine, rendant notamment la vision de près difficile. Comme en cas de presbytie quelques années plus tôt, la gêne provoquée par la cataracte est souvent en lien direct avec les activités pratiquées. « Une personne qui lit peu, par exemple, supportera plus longtemps l’inconfort de la cataracte », note le Dr Tran. Mais tôt ou tard, l’intervention chirurgicale est inévitable. Et, le plus souvent, elle peut se targuer d’excellents résultats : « La perte de vue liée à la cataracte est totalement réversible, même si l’opération se fait à un stade avancé de la maladie », rassure l’expert.
8 réflexes à adopter… à tout âge!
Préserver ses yeux est un travail de tous les jours. Voici quelques conseils clés.
- Tenir compte des antécédents familiaux. Forte myopie, glaucome ou encore maladies dégénératives de la rétine. Certaines pathologies comportent une part génétique justifiant une vigilance accrue et d’en parler avec son ophtalmologue.
- Être à l’écoute des symptômes. Baisse ou changement d’acuité visuelle, impression de «voile». Même si la vision semble rester correcte, tout trouble nouveau ou progressif justifie de consulter.
- Freiner ou « compenser » l’usage des écrans. Pour limiter l’effort accommodatif imposé par les écrans (vision prolongée de près) et la sécheresse oculaire qu’ils peuvent causer. Il faut miser sur une distance entre les yeux et l’écran d’au moins 30 cm. Il faut également intercaler des pauses en adoptant par exemple la « règle des 20 ». Cela signifie de faire des pauses toutes les 20 minutes et regarder à plus de 20 mètres pendant 20 secondes. Pour les enfants, une limitation du temps d’exposition est importante. Il faut notamment éviter l’usage des écrans avant l’âge de 3 ans.
- Miser sur des visites régulières chez l’ophtalmologue. À l’âge adulte, la fréquence des consultations est à envisager au cas par cas selon la santé visuelle et générale. En l’absence de symptôme ou de pathologie particulière, un contrôle chez l’ophtalmologue est tout de même préconisé. Il doit être effectué tous les deux-trois ans à partir de 40 ans. Les spécialistes conseillent de réaliser ce dépistage chaque année à partir de 60 ans.
- Savourer le grand air. Une exposition de deux heures par jour à la lumière naturelle limite le risque de développer une myopie chez les enfants. Le secret de ses bienfaits ? Son intensité et une étendue de son spectre de rayons lumineux plus large que celle de la lumière artificielle.
- Protéger ses yeux du soleil. Si la lumière naturelle est bienfaitrice pour nos yeux, certaines situations nécessitent une protection rigoureuse (lunettes comprenant verres et monture adaptés) : activités sur la neige ou au bord de l’eau ou exposition à des sources lumineuses intenses (travaux de soudure par exemple).
- Alimentation saine. Une alimentation riche en fruits et légumes apporte antioxydants, vitamines et omégas 3 et 6 essentiels à la santé des yeux.
- Limiter les facteurs de risque. Ce qui est bon pour le cœur est bon pour les yeux… et l’inverse est vrai également. Parmi leurs ennemis communs : hypertension artérielle, diabète, tabagisme ou encore excès de cholestérol.
Zoom sur ces pathologies ennemies de nos yeux
Cibles directes de certaines pathologies ophtalmiques, nos yeux peuvent aussi être les victimes collatérales d’affections systémiques, autrement dit, concernant le corps dans son ensemble. Deux d’entre elles nécessitent une vigilance particulière.
L’hypertension artérielle
En imposant une pression excessive sur les artères de l’ensemble du corps, l’hypertension artérielle fragilise l’intégrité du système sanguin. Conséquence : certains vaisseaux peuvent s’obstruer ou se rompre. «Lorsque ces phénomènes se produisent dans les yeux, les dégâts peuvent être considérables sans pour autant se traduire immédiatement par des symptômes», souligne le Dr Bao-Khanh Tran, co-responsable de la policlinique et des urgences de l’Hôpital ophtalmique Jules-Gonin. Dès lors, en cas de découverte d’une hypertension artérielle, un suivi ophtalmologique s’impose. Celui-ci permettra d’estimer les éventuels dommages et apporter les traitements nécessaires.
Le diabète et la vision
À l’instar de l’hypertension artérielle, le diabète (qu’il soit de type 1 ou 2) peut être redoutable pour les yeux, en toute discrétion les premiers temps. Malmenés par les excès répétés de sucre dans le sang, les vaisseaux oculaires se fragilisent, deviennent perméables et peuvent être le siège, entre autres, d’une rétinopathie diabétique, une complication spécifique du diabète. «En cas de diabète, un contrôle au moins une fois par an est nécessaire. Si des dégâts sont déjà constatés au niveau des yeux, les consultations peuvent être beaucoup plus rapprochées. Des traitements existent pour freiner l’évolution des complications liées à cette pathologie, mais ils demandent un suivi très strict», insiste le Dr François Thommen, co-responsable de la policlinique et des urgences de l’Hôpital ophtalmique Jules-Gonin. Et d’ajouter : « Le plus important reste le contrôle du diabète par le patient lui-même et les médecins – généraliste ou diabétologue – qui le suivent. »
Autres pathologies visuelles
Atteintes rhumatologiques, immunologiques, inflammatoires ou encore neurologiques peuvent également avoir un impact sur la santé visuelle et l’intégrité des structures de l’œil. D’où l’importance de bien renseigner l’ophtalmologue sur son état de santé et glisser dans son agenda des contrôles réguliers.
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