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Mon enfant est aveugle/malvoyant

Temps de lecture: 6' Posté le Par Laetitia Grimaldi

Le défi d’apprendre et de s’épanouir quand la vision fait défaut.

Comment se développer, interagir avec les autres, prendre ses marques dans le monde, quand on est âgé-e de quelques jours, mois ou années et que la vision vient à manquer ou à défaillir ? Un enjeu de taille pour l’enfant, sa famille, les structures de la petite enfance ou encore l’école. Tour d’horizon des soutiens possibles pour faire renaître l’espoir d’une vie pleine de réussites et belles surprises.

Infection durant la grossesse, maladie neurologique, malformation oculaire : les causes de malvoyance ou de cécité d’un enfant peuvent être multiples. Si elles sont parfois détectables dès les premiers jours de vie, une surveillance régulière s’impose bien au-delà. « La vision se met en place jusqu’à l’âge de 7 ans en moyenne, mais les 24 premiers mois constituent une phase cruciale durant laquelle les yeux se développent, en étroite collaboration avec le cerveau. Durant cette période, chaque structure de l’oeil qui dysfonctionne peut empêcher le développement normal de la vision », explique la Dre Nathalie Voide, médecin associée à l’unité de strabologie et d’ophtalmologie pédiatrique de l’Hôpital ophtalmique Jules-Gonin.

Et d’illus­trer : « Une cataracte congénitale bilatérale par exemple, en entravant le passage de la lumière dans l’oeil, prive la rétine, le nerf optique et finalement le cerveau de toute information visuelle. Sans intervention chirurgicale, la cécité peut s’installer. Quel que soit le pro­blème, plus on agit vite, meilleures sont les chances de préserver tout ou une partie des facultés visuelles. » D’où l’importance de surveiller tout symptôme, dès le plus jeune âge, comme l’incapacité à fixer ou à suivre du regard, un strabisme récurrent ou encore des mouvements oculaires anormaux.

Suivi hautement personnalisé

Reste que la malvoyance ou la cécité peuvent s’inviter, soudainement ou progressivement, dans l’enfance et imposer suivi médical et adaptation du quotidien. Initiées par les équipes soignantes, la famille ou l’école, les demandes de soutien parviennent, pour la plupart des cantons romands, au CPHV (lire encadré). Selon l’évaluation faite par ses spécialistes et les accords préalables requis, comme ceux de l’Office de l’enseignement spécialisé (OES), s’amorce une prise en charge personnalisée. Pédagogues, éducateurs et éducatrices, ergothérapeutes ou encore enseignant-es spécialisé-es entrent alors en scène pour des visites régulières, à domicile, à la garderie ou à l’école. « Notre objectif est de tout mettre en place pour que les personnes touchées par la malvoyance réalisent autant que possible la vie qu’elles souhaitent avoir. Les maîtres-mots qui nous guident sont la recherche d’autonomie et l’inclusion », résume Lucien Panchaud, directeur de la santé communautaire et du CPHV.

Dre Nathalie Voide
Nathalie Voide

Médecin associée à l’unité de strabologie et d’ophtalmologie pédiatrique

Les tout-petits

Pour les plus jeunes, le facteur « temps » est primordial. « En cas de malvoyance, l’objectif est d’agir au plus vite afin d’encourager le potentiel visuel existant avant qu’il ne diminue faute de stimulation. Pour cela, une alliée clé est la plasticité cérébrale. Particulièrement vive chez les tout-petits, elle permet au cerveau d’acquérir de nouvelles compétences, y compris pour contourner certains freins, rappelle Mélanie Lachat, pédagogue en éducation précoce spécialisée au sein du Service éducatif itinérant (SEI) du CPHV. Notre travail est donc d’accompagner l’enfant en tenant compte de ses difficultés, mais également de sa marge de progression. S’ouvre alors un vaste programme, sans cesse ajusté pour doser au mieux les stimulations, composé de jeux et d’expériences visuelles faisant particulièrement intervenir trois facteurs clés : les contrastes, la brillance et la luminosité. »

Une table lumineuse, des jouets contrastés. Autant de jeux et d'expériences pour stimuler la vision des tout-petits.
Une table lumineuse, des jouets contrastés. Autant de jeux et d’expériences pour stimuler la vision des tout-petits.

Qu’en est-il en cas de cécité ou lorsque la malvoyance est telle qu’elle peut nuire aux premières étapes de développement ? « Privé de la vision, un tout-petit perd une partie de ce qui lui permet de construire son schéma corporel, d’explorer le monde qui l’entoure, d’imiter pour apprendre, souligne Sophie Jumeau, ergothérapeute au service social et réadaptation basse vision de l’Hôpital ophtalmique Jules-Gonin. Tout l’enjeu est de lui donner accès autrement à la conscience de son corps, de l’espace et du temps. Cela passe notamment par les autres sens, tels que l’ouïe – en verbalisant, expliquant les sons et utilisant l’écho – et le toucher – en aménageant par exemple des repères astucieux autour de lui. La mise en place de routines structurantes est également importante. L’idée est ainsi de rendre explicite ce qui est implicite dans le quotidien et que cela s’inscrive dans un environnement qui soit à la fois sécurisant et stimulant. »

Sophie Jumeau, ergothérapeute
Sophie Jumeau

Ergothérapeute au service social, réadaptation et basse vision

Bientôt l’école

Au fil du temps, l’enjeu de l’entrée à l’école se précise. « Progressivement, il va s’agir de porter l’enfant vers les apprentissages scolaires, en l’amenant le plus loin possible selon ses capacités, poursuit Mélanie Lachat. L’idée n’est pas de brûler les étapes, mais parfois d’anticiper quelques apprentissages, quand ils sont accessibles à l’enfant, afin qu’il dispose de davantage d’énergie, le moment venu, pour aborder son nouvel environnement et la vie scolaire elle-même. »

Mélanie Lachat, pédagogue en éducation précoce spécialisée au SEI
Mélanie Lachat

Pédagogue en éducation précoce spécialisée au SEI

Première rentrée

École ordinaire avec aménagements adaptés, école du CPHV ou structure spécialisée si le déficit visuel est associé à d’autres handicaps : l’orientation scolaire d’un enfant atteint de malvoyance ou de cécité se décide au cas par cas. Ainsi, dans le cadre prédéfini par l’OES, le Service pédagogique itinérant (SPI) du CPHV peut intervenir. Le soutien peut prendre plusieurs formes, allant de conseils liés à l’ergonomie (luminosité, distance du tableau, etc.) à la présence d’un ou une enseignante spécialisée en classe selon un nombre de périodes préétabli, en passant par l’apprentis­sage du braille ou la mise à disposition de matériel et de documents adaptés.

« Ces divers dispositifs visent à limiter au maximum l’impact du déficit visuel sur la scolarité, en étant au plus près des besoins de l’enfant. Cela suppose de réévaluer régulièrement la situa­tion, d’être en lien avec sa famille et le réseau de thérapeutes, explique Candice Dupasquier, enseignante spécialisée au CPHV. Au fil des années, l’adolescence se profile et complique parfois le suivi de jeunes qui rejettent soudain certaines mesures, de peur qu’elles ne les stigmatisent. Notre travail peut alors être d’organiser des séances de sensibilisation au sein des classes. Ces échanges autour des questions du handicap et de l’inclusion sont souvent des moments précieux pour l’en­semble des élèves. »

Candice Dupasquier, enseignante spécialisée au CPHV
Candice Dupasquier

Enseignante spécialisée au CPHV

Solange, maman d’Amadeo, 3 ans et demi

Solange, maman d'Amadeo, 3 ans et demi

« L’équipe qui entoure Amadeo est juste extraordinaire »

Solange

« Notre fils Amadeo est né prématurément, à 27 semaines de grossesse, ce qui a engendré de nombreux problèmes de santé, notamment des hémorragies cérébrales typiques de la grande prématurité. Sa vision a été impactée. Assez vite, les spécialistes ont constaté un dysfonctionnement de la mobilité de ses yeux (appelé apraxie oculomotrice), et ce n’est sans doute pas le seul problème. Mais nous ne savons toujours pas comment il voit. D’abord parce qu’Amadeo ne parle pas – un trouble du spectre autistique a été diagnostiqué il y a quelques mois – mais également parce que tous les examens n’ont pas encore pu être réalisés. Toutefois, il marche désormais, ce qui nous permet d’observer ce qui est compliqué pour lui, l’absence de contraste entre les sur­faces par exemple. »

Sans cesse des progrès

« Au-delà de ces difficultés, nous mesurons sans cesse ses progrès. Il parvient bien maintenant à effectuer des mouvements de gauche à droite avec ses yeux, à centrer son regard quand il se concentre. Et de plus en plus, il établit des contacts visuels directs avec les personnes qu’il connaît. Pour tout cela, et plus encore, nous sommes extrêmement reconnaissants de l’aide mise en place par les équipes du CPHV dès la sortie du service de néonatalogie de l’hôpital. Car nous faisons notre possible, mais sommes ses parents, ni des experts, ni des thérapeutes. Les visites hebdomadaires du service éducatif itinérant notamment ont été infiniment précieuses dès le départ, tant pour évaluer les besoins d’Amadeo que pour faire travailler ses yeux, répondre à nos questions et nous montrer comment stimuler au mieux sa vision au quotidien. »

Sac de Mary Poppins

« Je me souviens notamment de voir ces spécialistes arriver avec toutes sortes de jouets, livres et lumières, comme tout droit sortis du sac de Mary Poppins. Encore aujourd’hui, l’équipe qui entoure Amadeo est juste extraordinaire. C’est aussi elle qui nous a guidés vers la crèche inclusive du CPHV.
Nous avons inscrit Amadeo il y a deux ans et tout se passe très bien. C’est un vrai bonheur de le voir évoluer et interagir avec d’autres enfants. Prochaine grande étape pour lui : la rentrée à l’école d’ici quelques mois ! »

Zoom sur le CPHV

Dans le cadre de la Loi sur la pédagogie spécialisée (en vigueur depuis 2019), le CPHV de la Fondation Asile des aveugles (FAA) est devenu centre de compétences pour l’accompagnement des personnes en situation de handicap visuel pour tous les cantons romands à l’exception de Genève. Portrait express d’une structure unique en son genre avec son directeur, Lucien Panchaud.

Son histoire :

En parallèle des soins prodigués aux personnes malvoyantes, la formation a fait partie des piliers de la Fondation dès sa création en 1843. Si elle a d’abord pris la forme d’une école offrant une prise en charge globale des enfants atteints de déficit visuel, elle a évolué, notamment au travers de services itinérants. Le CPHV est ainsi né en 1978 sous la dénomination de Centre pédagogique pour élèves handicapés de la vue*.

Son objectif :

Les actions du CPHV convergent vers un objectif central : limiter l’impact de l’atteinte visuelle des personnes concernées. Ses quatre axes majeurs sont l’évaluation des besoins, l’accompagnement technique, la mise en place de lieux inclusifs et la recherche appliquée.

Ses missions :

En pratique, le CPHV offre un accompagnement personnalisé en cas de malvoyance ou de cécité aux enfants – dès la naissance et jusqu’à l’entrée dans la vie active –, mais également aux adultes contraintes d’envisager une réorientation professionnelle en raison d’une atteinte visuelle. Devenu centre de compétences pour les questions relatives au handicap visuel, le CPHV revêt également un rôle de conseil, d’expertise et de transfert de compétences auprès d’institutions partenaires (garderies, écoles, etc.). C’est par ailleurs lui qui reçoit l’ensemble des demandes de suivi d’enfants atteints dans leur santé visuelle. Ces dossiers sont examinés avec des équipes pluridisciplinaires au sein de structures cantonales coordonnées par le CPHV, appelées « pôles d’évaluation des besoins ».

Son organisation :

Plusieurs structures composent le CPHV, parmi lesquelles : l’école spécialisée elle-même, le centre technique en adaptation et accessibilité qui effectue la transcription du matériel scolaire (tous deux situés à Lausanne), le service éducatif itinérant (SEI) et le service pédagogique itinérant (SPI), ainsi qu’un service d’insertion professionnelle. L’ensemble des missions repose sur une équipe comprenant une centaine de pédagogues, orthoptistes, enseignant-es spécialisé-es ou ergothérapeutes, entre autres.

* Aujourd’hui, on n’utilise plus la terminologie « Centre pédagogique pour les élèves handicapés de la vue » pour le CPHV. D’abord parce que l’on reconnaît les capacités individuelles plutôt que le handicap. Ensuite, parce que sa mission dépasse le strict cadre pédagogique et qu’il accompagne les enfants et les jeunes dans tous les contextes de la vie jusqu’à l’insertion professionnelle.

Plus d’infos : www.cphv.ch

L'équipe du centre de compétences.
L’équipe du centre de compétences.

Nous avons modifié l’article original pour en faire une version web.

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