À l’école avec Dorian
Réussir l’intégration des jeunes malvoyant-e-s et aveugles dans des classes ordinaires. Sophie Zufferey, enseignante spécialisée, accompagne régulièrement Dorian, un adolescent de 13 ans, dans sa classe du cycle d’orientation. Reportage à Vouvry (VS) pendant un cours de maths.
La cloche de la récréation de 10h vient de sonner et les adolescent-e-s du Cycle d’orientation du Haut-Lac de Vouvry sortent prendre l’air. Puis arrive Dorian – aveugle depuis la naissance – qui marche tranquillement, sa canne blanche balayant le sol. Il a le dos légèrement courbé et la nonchalance typique des jeunes de son âge. Il fait quelques pas dans la cour et, après un moment, rentre lorsque la cloche retentit à nouveau.
Quelques minutes plus tard, Dorian est assis en classe, au premier étage de cet établissement lumineux et moderne aux côtés de Sophie Zufferey, enseignante spécialisée au Centre pédagogique pour élèves handicapés de la vue (CPHV) et référente régionale du Service pédagogique itinérant pour le Valais. « Je passe huit périodes par semaine avec Dorian, dont trois en dehors de sa classe, en individuel, pour travailler les matières pour lesquelles il a besoin de davantage de soutien. Les mathématiques, les sciences, la géométrie font partie des branches plus compliquées. En effet, elles font davantage appel à la vision, via des cartes et des schémas, entre autres », explique l’enseignante.
Recherche d’autonomie
Pendant la leçon de maths du jour, Dorian écoute les consignes. Ce matin-là, les élèves de sa classe de 9H doivent corriger leur dernier examen portant sur les fractions. « Dorian, je viens de te mettre dans ton drive le corrigé de ton test », indique Romain Sauthier, le professeur. L’adolescent, muni d’un ordinateur relié à une ligne braille et d’une oreillette, trouve par lui-même le fichier indiqué et découvre les corrections grâce à la synthèse vocale qui lui lit ce qui est affiché à l’écran. Il tape également les consignes dictées sur le clavier ordinaire de son ordinateur. Il ne voit pas les touches, mais ne fait presque aucune faute de frappe. C’est une habitude pour Dorian de se fier uniquement à ses doigts et à sa mémoire.
« La ligne braille lui sert pour lire uniquement. Pour écrire il utilise très bien l’autre clavier », explique l’enseignante spécialisée. Sophie Zufferey intervient peu auprès du jeune homme. Elle le laisse chercher par lui-même dans ses fichiers informatiques, mais elle se penche régulièrement sur l’écran de son élève pour s’assurer qu’il note tout correctement.
« Je me sens bien dans cette classe, affirme Dorian. Je tiens à rester ici pour avoir un bon niveau et apprendre à me débrouiller seul. »
Dorian, 13 ans
Après plusieurs années de scolarité au CPHV, l’adolescent souhaitait intégrer l’école de sa région. « Il est moins replié sur lui-même. L’an dernier, il ne suivait que trois périodes seul en classe. Cette année, elles s’élèvent à huit et l’année prochaine, il sera seul pendant quinze périodes, explique Sophie Zufferey. Le but est qu’il finisse par être le plus autonome possible. Il souhaite poursuivre ses études, alors il s’en donne les moyens. »
Au-delà des cours en classe, Dorian mange trois fois par semaine à la cantine scolaire, dont deux fois tout seul. « C’est lui qui en a fait la demande, il tient à parvenir à faire le plus de choses possible par lui-même », précise l’enseignante.
Documents et matériel scolaire adaptés
À noter que l’adolescent bénéficie de documents et matériels scolaires adaptés à son handicap. Il bénéficie également d’une aide à la vie scolaire. En début d’année, une ergothérapeute spécialisée en basse vision l’a aidé à repérer ses déplacements et une sensibilisation a été proposée à sa classe afin que Dorian puisse y être bien accueilli. « Je traite Dorian comme mes autres élèves, explique Romain Sauthier. La présence de Sophie Zufferey est toutefois appréciée, car j’ai 23 élèves qui ne sont pas toujours calmes. Je sais ainsi que Dorian peut recevoir de l’aide si quelque chose lui échappe. » Il en va également de la responsabilité de l’adolescent de demander des explications, de l’aide ou des documents adaptés supplémentaires. « Par le passé, il osait peu lever la main. Désormais, il est plus à l’aise », précise Sophie Zufferey.
Durant cette matinée, l’adolescent a gardé en permanence ses deux mains agiles sur son clavier. Dans sa bulle, alors que ses camarades se lèvent et chuchotent entre eux, Dorian n’a d’oreilles que pour son professeur ou la synthèse vocale. Il tient à remonter sa moyenne de maths pour poursuivre ses études malgré sa canne blanche.
Plus de 180 enfants avec un déficit visuel suivis
Les enseignantes et enseignants spécialisés du CPHV actifs en Suisse romande sont répartis selon trois régions géographiques : les cantons de Berne, Jura et Neuchâtel ; ceux de Vaud et Fribourg ; et celui du Valais. Quant au canton de Genève, il bénéficie d’une structure à part. Les écoles, lorsqu’elles sont confrontées à un ou une élève ayant des besoins particuliers (comme un déficit visuel, mais pas uniquement) mandatent des enseignant-e-s spécialisé-e-s. Ils ou elles interviennent en classe afin de trouvent le meilleur accompagnement pour l’élève.
« Les enfants rencontrent des difficultés de fonctionnement au quotidien qui peuvent être, entre autres, liées à la vision, explique Lucien Panchaud, directeur de la santé communautaire à la Fondation Asile des aveugles. En fonction des besoins jugés prioritaires et des difficultés qui entravent le plus l’autonomie de l’élève, nous allons par exemple donner des conseils d’aménagement en basse vision aux personnes qui l’accompagnent (enseignant-e-s, familles, thérapeutes) mais aussi proposer un projet pédagogique spécifique pour l’élève, qui inclut l’adaptation des documents scolaires, l’utilisation d’outils informatiques et l’adaptation de l’environnement de travail. »
Les écoles obligatoires romandes comptent plus de 180 élèves avant un déficit visuel. Il y a environ 30 enseignant-e-s spécialisé-e-s les accompagnent.
Nous avons modifié l’article original pour en faire une version web.