Bienvenue au « Royaume du goût»
Des élèves du Centre pédagogique pour élèves handicapés de la vue participent toutes les semaines à un atelier cuisine.
Grâce à ce projet collaboratif, des élèves âgé-e-s de 11 à 17 ans du Centre pédagogique pour élèves handicapés de la vue (CPHV) se réunissent le jeudi ou le vendredi pour préparer et déguster un repas complet, sous la bienveillance et l’encadrement de leurs enseignant-e-s. Reportage dans le « Royaume du goût ».
C’est au deuxième étage, dans la salle des maîtres, que s’ouvre le « Royaume du goût ». Chaque semaine, deux classes du CPHV se plient en quatre pour préparer un menu de saison. Le jeudi, la brigade des « Hackers » est aux fourneaux. Le vendredi, c’est au tour des « Chouettes ». Ainsi durant leur pause de midi, les élèvent dégustent ensuite le repas préparé. Par ailleurs, Un service traiteur est également possible pour les personnes intéressées, mais sous réservation uniquement. « L’objectif, au départ, était d’ouvrir l’atelier sur l’extérieur. De faire venir les familles pour qu’elles se rendent compte du potentiel des enfants », déclare Béatrice Aenishaenslin Mamin, référente des approches spécifiques et ergothérapeute au CPHV. Mais le Covid-19 en a décidé autrement « Cet atelier n’est pas comme les autres. Il a pour vocation de permettre aux enfants d’acquérir des compétences multiples en lien avec leur projet pédagogique personnel », indique Benoît Dubuis, enseignant spécialisé au CPHV.
Des plats de saison « Au Royaume du goût »
Au menu de ce jeudi de juin : une salade printanière en entrée, une tarte aux asperges en plat principal et un gâteau sucré aux épinards pour le dessert. Les menus sont élaborés à l’avance en collaboration avec les élèves. Ils prennent part à toutes les étapes de ce projet original.
Responsable des courses
Chez les Hackers, c’est Owen qui est responsable des courses. Cela veut dire : se rendre au supermarché seul ou accompagné, savoir demander de l’aide au personnel. Il doit aussi choisir les aliments inscrits sur la liste et finaliser les achats. « Avec Béatrice, on se répartit les tâches. On a chacun une liste et on se retrouve à la caisse, mais c’est moi qui paie », souligne le garçon. « Le fait d’y retourner chaque semaine permet de gagner en confiance et en autonomie. L’élève doit faire des choix et apprendre à les assumer ensuite devant ses camarades. Pour le groupe des Chouettes par exemple, il n’y avait plus d’asperges. Alors Lucien a acheté des courgettes à la place », raconte Béatrice Aenishaenslin Mamin.
Une bonne préparation en amont
On travaille les recettes sont préalablement en classe. On décortique chaque étape. « On passe en revue les ingrédients et le matériel dont les élèves auront besoin pour leur permettre de travailler en amont leur imagerie mentale », explique l’ergothérapeute. Le jour J, les défis sont nombreux : s’orienter dans la salle, trouver ses repères, mettre la main sur les ustensiles à disposition. En effet, l’environnement est aménagé pour favoriser l’autonomie de chacun et chacune : des ronds de classeur sur les boutons de la cuisinière, des repères sous forme de contrastes de couleurs et/ou de matières autour de l’évier, dans les armoires, sur le four, notamment.
Les petits groupes sont au travail
Chez les Hackers, Mohamed rince les épinards tandis qu’Abigaël et Owen épluchent les asperges avant de les disposer soigneusement sur la pâte à gâteau. Emma, quant à elle, se charge de la salade. La jeune fille coupe le saumon, les avocats et les tomates cerise. « Cet atelier se veut résolument pratique. Les élèves apprennent les bonnes stratégies pour pallier leurs limitations visuelles et expérimenter le champ sensoriel », déclare Benoît Dubuis. On reproduit ainsi chaque menu deux semaines de suite, mais un tournus est assuré entre les équipes.
On manipule aussi les savoirs mathématiques, on apprend la précision, on exerce la coordination, la motricité fine, la sécurité des gestes.
Chez les Chouettes, Alison coupe les épinards avec un hachoir rotatoire, pour ne pas se couper les doigts. Mohamed détaille le concombre avec un vrai couteau de chef, mais avec une technique adaptée à ses capacités visuelles. Tomas, dans le groupe des Hackers, pèse le sucre pour la crème pâtissière à l’aide d’une balance qui parle. « Les appareils utilisés sont disponibles sur le marché. Les élèves peuvent ainsi reproduire les recettes à la maison », note Béatrice Aenishaenslin Mamin. Pendant ce temps, Caitline est partie jeter les épluchures au compost, à l’extérieur du bâtiment. Pas loin, il y a aussi un petit jardin où poussent des herbes aromatiques.
Stress en cuisine
Cuisiner n’est pas de tout repos. Il faut bien s’organiser pour pouvoir manger à midi et repartir à l’heure, après avoir tout rangé et nettoyé. Chez les Hackers, Emma supervise les opérations et s’assure que le timing soit respecté. En cuisine, le stress se fait parfois sentir, comme lorsqu’il manque la moitié de la quantité de crème nécessaire à la liaison de la quiche. Ces petits imprévus forcent à faire preuve de flexibilité.
L’esprit d’équipe
Cet atelier stimule ainsi l’esprit d’équipe. Et pour cause, « la limitation du champ visuel n’encourage pas à explorer ce qu’il se passe à côté. Ici, les élèves apprennent à se décentrer et faire attention aux autres », note Benoît Dubuis. À un coin de table, Lucien montre à Mohamed comment faire une sauce à salade. Peu à peu, les choses se mettent en place. La tarte salée et le dessert sont au four et on brasse la salade. Alors qu’une une partie des enfants fait la vaisselle, les autres mettent le couvert, plient les serviettes en triangle et servent l’eau.
Tout le monde s’installe à table.
« J’aime quand on est tous ensemble », confie Alison. Finalement, c’est le moment de se souhaiter « bon appétit » et de savourer les plats dans le calme. On sent la fierté du travail accompli. Enthousiastes, les élèves ont demandé à faire un cahier « Royaume du goût » avec les recettes de l’année pour pouvoir les emporter à la maison et les refaire avec leurs proches.
Nous avons modifié l’article original pour en faire une version web.