L’intelligence artificielle au service de la recherche
L’Hôpital ophtalmique Jules-Gonin développe des outils informatiques innovants.
L’intelligence artificielle (IA) est en passe de révolutionner le monde de la médecine, et l’ophtalmologie ne fait pas exception. Rencontre avec Mattia Tomasoni, responsable de la plateforme de recherche en imagerie oculaire à l’Hôpital ophtalmique Jules-Gonin, qui développe avec son équipe des outils destinés à soutenir la recherche et la pratique cliniques*.
L’IA est-elle aujourd’hui à un tournant de son évolution ?
Mattia Tomasoni C’est certain. Ce tournant est marqué par le développement des technologies GPT (generative pre-trained transformers, soit transformeurs génératifs pré-entraînés), dont l’application la plus connue est ChatGPT. À la différence des technologies d’IA précédentes, ces outils sont capables d’apprendre par eux-mêmes. Par exemple, lorsqu’ils sont entraînés à parler un langage humain, ils apprennent automatiquement à prêter une attention particulière aux noms et aux verbes. Ces transformateurs peuvent travailler sur des images, des vidéos, des sons et, bien entendu, sur du texte. Ces outils intègrent certains aspects de la connaissance humaine et deviennent capables de faire des déductions avec des performances comparables aux nôtres. Les chercheurs et chercheuses ont commencé à les appliquer aux données médicales et ophtalmologiques.
Votre équipe et vous-même travaillez au développement d’une plateforme appliquée à l’imagerie oculaire. À quoi se destine ce projet ?
L’objectif de la plateforme de recherche en imagerie oculaire (RIO) est de valoriser les données produites quotidiennement par nos médecins à l’hôpital, dans le cadre de la prise en charge des patients et patientes, et de les soutenir dans la validation de leurs hypothèses cliniques. Nous utilisons souvent pour cela des modèles d’IA, semblables à ChatGPT, pour résoudre des problèmes médicaux. Aujourd’hui, les médecins s’appuient sur leur expertise et leurs années d’expérience pour identifier des caractéristiques spécifiques dans une image ou établir un diagnostic. L’IA peut être une alliée complémentaire précieuse.
Disposez-vous d’outils informatiques déjà performants pour la prise en charge de certaines pathologies ?
L’Hôpital ophtalmique a déjà utilisé un outil appelé IDx-DR pour la détection de la rétinopathie diabétique. Au sein de la plateforme RIO, nous travaillons sur plusieurs projets basés sur des modèles GPT. Le plus avancé d’entre eux, mené en collaboration avec le Prof. Yan Guex-Crosier et la Dre Florence Hoogewoud, vise à automatiser l’évaluation de l’inflammation liée à l’uvéite (inflammation de l’œil affectant la vision, ndlr). Notre objectif est de soumettre ce projet à Swissmedic afin de transformer nos recherches en un dispositif médical certifié.
Comment l’intelligence artificielle peut-elle encore transformer le visage de l’ophtalmologie ?
Selon moi, la direction la plus intéressante que peut prendre cette technologie est le domaine de la médecine prédictive. L’œil est une fenêtre sur le cerveau et sur le corps dans son ensemble. En observant les structures oculaires, il est possible de déceler des dysfonctionnements concernant d’autres organes. Les premiers signes du diabète ou de certaines maladies cardiovasculaires, par exemple, peuvent être détectés dans l’œil de façon très précoce. Aux États-Unis, un dispositif médical approuvé par la Food and Drug Administration en 2024 permet, sur la base d’informations rétiniennes, d’évaluer la santé cardiovasculaire.
En allant vers cette approche globale, les outils utilisant l’IA pourront à l’avenir s’imposer comme de véritables supports au diagnostic précoce et au développement de traitements personnalisés.
*Certains détails techniques ont été adaptés pour le grand public.
Nous avons modifié l’article original pour en faire une version web.